Lettre ouverte à la Garde des Sceaux

Objet : Légalisation du matronyme
mercredi 15 octobre 2008.
 

Paris, le 1er octobre 2008

Madame la Ministre de la Justice, Madame la Garde des Sceaux,

La Présidence de la République vient de nous informer de la transmission de notre courrier du mois de juillet à votre diligence. C’est pourquoi nous nous permettons d’exposer plus avant le déni de justice qui perdure en France aujourd’hui concernant le matronyme.

En effet, malgré les textes internationaux ratifiés par la France, ainsi que la parité et l’égalité ré-inscrites en droit constitutionnel depuis 1946, le matronyme y est négationné. Il est inexistant en droit, dénié en légitimité et dépossédé d’acquisition. De ce fait, -sauf à être stigmatisé- il n’a jamais pu être établi en propre et en droit à l’Etat-civil et il n’existe aucune voie de recours ni aucune procédure pour rétablir à l’Etat-civil son nom d’identité matronymique. Or, malgré le statut de démocratie occidentale de la France, le nom y semble plutôt soumis à un régime de sécurité d’Etat, où le nom de la mère, de la filiation matrilinéaire, en tant que nom d’identité est assimilé à un délit dans le cadre plus global d’une injonction à l’hétérosexualité qui n’est pourtant pas une injonction inscrite dans les lois républicaines.

La procédure par défaut du « changement de nom » opposée par l’Etat français aux citoyen-ne-s qui veulent voir inscrit leur matronyme à l’Etat-civil est inappropriée et n’offre en conséquence que du déni de justice démultipliant les préjudices subis. Le matronyme n’y est notamment traité que comme un « nom d’usage » en outre disqualifié dans l’inventaire non-dit d’une hiérarchisation de noms d’usage : le nom de guerre, le pseudonyme, le surnom, le nom d’épouse. Or, le matronyme est une possession acquisitive inaliénable. La procédure adéquate de son établissement, à l’Etat civil des adultes et des enfants, citoyen-ne-s français-e-s, doit être une simple régularisation d’Etat-Civil.

Or, la discrimination sexiste demeure ancrée dans le droit français et le nom matronymique y est traité comme inférieur à un quelconque nom d’usage.

Le matronyme qui est un droit inaliénable de l’individu est inscrit sur son acte de naissance par la présence effective de la seule ascendance avérée de l’individu : sa génitrice, sa mère, sa famille. Aussi, faut-il parachever cette démocratie qui maintient une ségrégation sexuelle en ce qui concerne le nom, la transmission identitaire, la symbolique de la filiation.

Nous soutenons que l’invention du statut inférieur du matronyme par rapport à la gamme des noms d’usage, par la justice française, est une confusion ; nous soutenons que cette confusion est un effet, une conséquence d’une cause.

En effet, s’il n’y a pas de procédure adaptée à l’établissement du matronyme à la même place et au même statut que le patronyme, ni aucune voie adaptée en ce sens, c’est qu’il n’y a pas de dispositif établissant cette transitivité de l’égalité et de la parité du nom d’Etat-civil. L’établissement de cette transitivité reviendrait à rééquilibrer le droit en comblant le vide juridique du matronyme créé par la puissance ancestrale de la règle usuelle patriarcale établissant une hiérarchie dans l’organisation des relations humaines et de la famille sur la primauté et la prééminence masculine dans l’appropriation et la domination du capital humain : la domination masculine.

Il s’agirait d’ériger enfin le droit inaliénable au matronyme comme possession individuelle immuable et légitime à l’Etat-civil. En effet, rien ni personne ne peut s’immiscer entre un individu et son nom d’identité fut-il matronymique. Ceci est consacré par le Conseil de l’Europe dont l’Assemblée parlementaire a voté les Recommandations 1271 du 28 avril 1995 et 1362 du 18 mars 1998 contre les discriminations entre les femmes et les hommes pour le choix du nom de famille et la transmission du nom des parents aux enfants. D’autant que le nom est la marque à la fois la plus intime et la plus sociale de notre identité, garanti par les articles 5, 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’ « H »omme comme partie intégrante de la vie privée. La Charte pour l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes ratifiée par la France en 1983 garantit également l’égalité des droits des femmes et des hommes dans ce domaine.

Pourtant, la France persiste à contrevenir à cette législation européenne et internationale qui y est applicable de droit. La solution que nous proposons va dans le sens de fixer dans la loi la parité entre les noms matronymique et patronymique et en conséquence d’autoriser réellement et aisément la rectification de l’Etat-civil au bénéfice du matronyme. Ceci permettrait aussi d’évacuer l’impossible rétroactivité des droits qui créent des ruptures d’égalité entre citoyen-ne-s et de résoudre l’inégalité de droits ainsi créée par la loi n°2002-304 entre citoyen-ne-s en fonction de leur date de naissance, interdisant à certain-e-s de posséder leur nom matronymique, permettant à d’autres de le posséder partiellement et à d’autres encore de le posséder pleinement. L’absurde de cette loi qui organise des autorisations partielles autour du patronyme et non pas du matronyme est aussi à revoir.

Nous attirons également votre attention sur le scandale de l’établissement de fait en droit français du régime des mères porteuses au bénéfice des hommes. En effet, la loi française autorise de fait n’importe quel homme à s’approprier l’enfant à naître d’une femme, quel que soit son statut civil, sans même qu’elle en soit informée. Elle le découvre alors après l’accouchement par les services d’Etat civil qui l’informent lors de sa déclaration de naissance de l’enfant qu’il est déjà approprié par acte de propriété (« reconnaissance » cachée) consacré par l’étiquetage d’un patronyme masculin. C’est une violation en droit et en dignité, alors qu’une femme choisit délibérément d’écarter de sa vie le contrat d’exploitation et d’appropriation qu’est le mariage, d’assister impuissante au transfert, sans son consentement, de sa production intime - l’enfantement - à un homme.

Nous avons été obligées de porter cette affaire de sexisme d’Etat, relatif à la consécration juridique du nom, devant une juridiction internationale, l’ONU, en soumettant une communication contre la France devant l’organisme de défense des droits humains adéquats, le comité de la CEDAW, pour violation de la convention sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes.

Vous remerciant des réformes que vous voudrez bien entreprendre afin d’établir une procédure simple d’établissement du matronyme à l’Etat-civil des citoyen-ne-s, dans des délais autrement plus raisonnables que les quatre années d’attente à tous les échelons de recours des juridictions administratives (trois à quatre années aux TA, CAA, CE) pour une procédure inappropriée,

Nous vous prions de recevoir, Madame la Ministre, l’assurance de notre très haute considération.

Pour le Groupe d’Intérêt pour le Matronyme

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